Longtemps perçue comme un privilège anachronique ou comme un voile d’impunité, l’immunité diplomatique semble cristalliser les débats dès lors qu’elle puisse apparaître aux yeux de certains comme le moyen de détourner les règles communes au profit de leur détenteur. Ainsi, certaines affaires médiatisées mettant en lumière une impossibilité des poursuites juridiques face à des délits et crimes d’une gravité non-négligeable, témoignent des critiques et suspicions à l’égard de cette protection juridique exceptionnelle. Toutefois, il convient de rappeler que derrière ces perceptions parfois simplificatrices, l’immunité diplomatique constitue l’un des fondements essentiels du bon fonctionnement des relations diplomatiques. En permettant l’indépendance et la protection du personnel diplomatique, elle permet la fluidité des échanges entre nations tout en évitant pressions et chantages à leurs égards.
Dès lors, est-il possible de concilier les exigences de justice et de responsabilité avec les nécessités d’indépendance et de protections diplomatiques ?
I/ Contexte historique
Les premières traces d’immunité diplomatique au sens où nous l’entendons de nos jours remonteraient au Diplomatic Privileges Act (1) pris par le Parlement de Grande Bretagne en 1708. A cette période le diplomate Andreï Artamonovitch Matveïev, fut arrêté et victime de violences verbales et physiques de la part d’huissiers anglais. En réponse à cela, et face à la nécessité du maintien de relations diplomatiques cordiales avec la Russie, le Parlement britannique déclara par cette loi la nullité de toute procédure civile contre les ambassadeurs et leurs serviteurs. Par ailleurs, tout personne tentant d’engager des poursuites contre une personne bénéficiant de l’immunité diplomatique sera « considéré comme un contrevenant aux lois des nations ». (2) (3)
De nos jours, deux textes régulent et garantissent l’immunité des agents diplomatiques. Il s’agit ainsi de la convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques, complétée par la convention de Vienne du 24 avril 1963 sur les relations consulaires et les accords de sièges passés entre la France et les organisations internationales. (4)
II/ Règles en vigueur
Dès lors, comme le rappelle le ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine lors d’une question posée par le sénateur RPR René Trégouët, les immunités et privilèges dont bénéficient le personnel diplomatique (5):
L’inviolabilité : l’article 29 de la Convention de Vienne de 1961 rappelle donc que la personne de l’agent diplomatique est inviolable et qu’en conséquence, il ne peut être soumis à aucune forme d’arrestation ou détention, sauf si ce dernier est pris en flagrant délit
L’immunité de juridiction : l’article 31 de la même convention rappelle que l’agent diplomatique jouit de l’immunité de juridiction pénale, mais également civile et administrative.
L’immunité d’exécution : Par ailleurs, l’article 31 dispose également que l’agent bénéficie d’une immunité d’exécution, soit qu’aucunes mesures d’exécutions ne peuvent être prises à son égard
Par ailleurs, l’article 22-1 rappelle que les locaux de la mission diplomatique sont inviolables et qu’il n’est permis aux agents de l’État accréditaire d’y pénétrer seulement en présence d’un accord du chef de la mission (généralement l’ambassadeur). Enfin, la demeure privée de l’agent diplomatique jouit de l’inviolabilité et de la même protection que les locaux de la mission diplomatique (art 30-1).
La France, conçoit même une acception plus expansive de ces immunités et privilèges. Elle accorde en effet une immunité totale pour les diplomates, leur famille, les invités et les employés des agents, et ce, même en dehors de l’exercice de leurs fonctions diplomatiques.
III/ Exceptions aux privilèges des agents bénéficiant d’immunités diplomatiques
Persona non grata : L’article 9 de la Convention de 1961, ainsi que l’article 23 de celle de 1963, précisent que, dans les cas où l’agent diplomatique se serait rendu coupable de crimes ou délits condamnables en droit interne, l’État d’accueil, si faute de renonciation à l’immunité diplomatique, ne peut juger l’agent, il peut toutefois exiger de l’État d’envoi de mettre fin à ses fonctions afin qu’il puisse être juger dans son pays.
De surcroit, l’État accréditaire peut informer, sans qu’il y ait besoin de motiver la décision, l’État accréditant que tout agent diplomatique en mission peut être considéré comme persona non grata. Le pays accréditant procède alors au rappel de l’agent concerné.
IV/ Les cas d’écoles de l’immunité diplomatique
Le cas Georges Weah Jr :
Le fils de l’ancien président libérien et footballeur George Weah fut interpellé à plusieurs reprises en 2021, à la suite de nombreuses fêtes organisées dans des appartements du 7ème arrondissement de Paris, mais également à Saint-Germain en Laye (Yvelines), en plein confinement. Toutefois, ce dernier fut rapidement relâche après que l’ambassade a confirmé son immunité diplomatique, rendant ainsi toute poursuite à son encontre nulle.
L’affaire Obiang des biens mal acquis (6):
L’affaire des biens mal acquis est une affaire de corruption et de blanchiment d’argent de la part cinq chefs d’États africains en fonction, ainsi que leur famille respective. Il s’agit en l’espèce du Gabon, du Congo-Brazzaville, du Burkina-Faso, de l’Angola, et de la Guinée équatoriale, pays qui nous intéresse tant il a mis en scène les diversités doctrinales au sujet de l’immunité diplomatique accordée aux hauts-responsables des États.
L’affaire met en cause Teodoro Nguema Obiang Mangue, fils de l’actuel président de la Guinée équatoriale et exerçant la fonction de Vice-président. Ainsi, en mars 2007, les associations Suivie, Sherpa et Fédération des Congolais de la Diaspora portent plaintes contre ces dirigeants pour « détournement de fonds publics, abus de biens sociaux, blanchiment, complicité de ces délits, abus de confiance et recel. ». Toutefois, en 2011, monsieur Obiang est sur le point d’être nommé au poste de délégué permanent adjoint de la Guinée équatoriale auprès de l’UNESCO, lui assurant ainsi le statut de diplomate, ainsi que les immunités dont il bénéficie. Ces mêmes associations ont alors transmis un courrier au ministère afin que cette nomination pouvant paraître opportuniste, ne soit pas un moyen pour monsieur Obiang de se soustraire aux contrôles judiciaires dont il fait l’objet par la justice française.
Lors de son procès, son avocat et lui-même ne cesseront d’invoquer, en raison de son poste, son immunité diplomatique. Toutefois, la chambre criminelle refusera de lui accorder cette immunité, un refus confirmé par la Cour de cassation (7). Ce refus d’immunité diplomatique semble en effet assez surprenant compte tenu du poste occupé par monsieur Obiang et de la coutume de droit international. Ce refus de la chambre criminelle, s’est en effet effectuée par le truchement d’une distinction créée par elle-même consistant à distinguer l’immunité fonctionnelle et personnelle, distinguant ainsi les actes relevant de la mission du diplomate, et ceux n’ayant qu’un caractère ne relevant purement que du domaine de la vie privée. La chambre criminelle a donc refusé assez étonnamment l’immunité personnelle, considérant en effet, que le poste de monsieur Obiang ne relevait pas des fonctions de chef d’État, du gouvernement, ou ministre des Affaires étrangères. Elle lui a également refusé toute immunité fonctionnelle, en ce sens que les « faits de blanchiment qui lui sont reprochés ont été commise à des fins personnelles quand il était encore ministre de l’agriculture et des forêts ».
A la suite de la décision rendue par la Cour de cassation, Teodorin Obiang a alors saisi la CIJ pour faire valoir, selon lui, l’existence d’une immunité diplomatique concernant les vice-présidents étrangers. La question posée à la CIJ est alors de savoir si l’immunité diplomatique s’étend aux vice-présidents étrangers.
Dans une décision du 14 février 2002 (8), la CIJ avait alors étendu l’immunité diplomatiques aux ministres des Affaires étrangères. De manière innovante, le juge belge avait lui étendu l’immunité diplomatique au vice-président de la RDC (9). Toutefois, la CIJ refusa de se reconnaître compétente pour juger de l’existence d’une immunité diplomatique pour monsieur Obiang. En effet, selon les juges, « les différends entre les parties, ne rentraient pas dans les prévisions de la convention contre la criminalité transnationale organisée. » (10). Cela peut toutefois paraître surprenant au regard des fonctions exercées par l’intéressé. En effet, monsieur Obiang occupe un poste le plaçant au-dessus du gouvernement, tout en ayant la charge de diriger l’armée, la police et les services d’immigration.
De surcroit, il participe régulièrement a de multiples réunions intergouvernementales et à ce titre, « les pleins pouvoirs lui ont été délégués pour engager l’État dans les secteurs dont il a la charge » (11). Quant au sujet de la saisi des biens mal acquis, la CIJ a statué en se plaçant du côté des arguments français, l’immeuble 42 avenue Foch n’ayant en effet, jamais reçu le titre de « locaux de la mission », au sens de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, tout en confirmant que la France n’avait pas manqué à ses obligations sur ce point-là.
Ainsi, la question de l’immunité diplomatique de monsieur Obiang reste suspendue à la décision des juges français. Le 27 octobre 2017 Teodorin Obiang est condamné en première instance a trois ans de prison avec sursis et 30 millions d’euros d’amende et la confiscation de ses biens ordonnée. Une peine confirmée par la Cour de cassation en 2021.
Finalement, par une ordonnance du 12 septembre 2025, la Cour internationale de Justice a rendu sa décision relative à la Demande concernant la restitution de biens confisqués dans le cadre de procédures pénales (Guinée équatoriale c. France). Par treize voix contre deux, elle a rejeté la demande de mesures conservatoires formulées par la Guinée équatoriale, tendant notamment à ne pas mettre en ventre l’appartement au 42 bis avenue Foch et en laissant plein accès à celui-ci. La cour a motivé sa décision par le fait que les critères de l’article 57 de la CNUCC, relatif à la restitution des avoirs confisqués sur lequel se fondait le pays requérant pour sa demande, n’étaient pas remplis. Le juge-président Yuji Iwasawa déclara « Après avoir examiné attentivement les arguments des parties, la Cour conclut que la Guinée équatoriale n’a pas démontré qu’elle possède un droit plausible à la restitution du bâtiment » (12).
En conclusion, cette affaire illustre parfaitement le flou juridique en droit international persistant, concernant l’extension des immunités diplomatiques des hauts-placés des États étrangers. Si la tendance est en effet à l’extension de l’immunité diplomatique à d’autres membres du gouvernement comme ont notamment pu le faire l’Allemagne, la Suisse ou encore la Chine, la France a semblé se placer à contre-courant de l’évolution du droit international en refusant d’accorder l’immunité diplomatique à monsieur Obiang qui bénéficiaient pour autant de toutes les qualités nécessaires pour bénéficier de cette dernière. Cette affaire témoigne donc parfaitement de la question non-résolue de l’étendue du cercle des bénéficiaires de l’immunité personnelle des gouvernants étrangers en exercice.
par Oscar Peret, 7 novembre 2025
(1) From the Magna Charta, to the End of the Eleventh Parliament of Great Britain, Anno 1761 [continued to 1807], Volume 11 ; Volume 1225
(2)Hathitrust Digital Library, The statutes of the realm : Printed by command of his majesty King George the Third, in pursuance of an address of the House of Commons of Great Britain. From original records and authentic manuscripts / [Edited by Alexander Luders and others]. v.9 Disponible en ligne: https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=pst.000033905853&view=1up&seq=125 (consulté le 30 juillet 2025).
(3) 1708: 7 Anne c.12: An act for preserving the privileges of ambassadors, and other publick ministers of foreign princes and states.
(4) En France, les règles actuelles concernant les privilèges et immunités diplomatiques et consulaires sont regroupés dans le document suivant : https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/privileges-immunites_diplomatiques-consulaires-12-07-24_cle0c2194.pdf
(5) Trégouët, René (1999). Immunité diplomatique et atteinte aux droits de l'homme. Question écrite n° 18 914, Sénat, question publiée le 23 septembre 1999, réponse publiée le 16 décembre 1999. Consulté sur le site du Sénat. URL : https://www.senat.fr/questions/base/1999/qSEQ990918914.html
(6) Pour plus de références sur l’affaire Obiang : https://www.assas-universite.fr/sites/default/files/document/cv_publications/5._rdia-la_saisie_des_biens_mal_acquis.pdf
(7) Crim., 15 décembre 2015, n° 15-83.156.
(8) CIJ, arrêt du 14 février 2002, Affaire relative au Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, CIJ Rec., 2002, p. 25, § 61.
(9) Trib. Correctionnel, Bruxelles (Belgique), 21 mai 2004, n° 3474, inédit, in D’ARGENT (P.), « Jurisprudence belge relative au droit international public (2004-2007) », RBDI, 2007-1, pp. 185-187.
(10) « Immunities and Criminal Proceedings (Équatorial-Guinée c. France) – Affaire no 163 », Cour internationale de justice (CIJ), consulté le 2 novembre 2025. URL : https://www.icj-cij.org/fr/affaire/163
(11) Déclaration institutionnelle par le Président de la République de Guinée Equatoriale, 21 octobre 2015, in Requête introductive d’instance de la Guinée Equatoriale déposée auprès de la CIJ, 13 juin, 2016, Annexe n° 2, p. 52.
(12) « Le Monde – « Biens mal acquis : la France remporte une bataille dans un litige immobilier avec la Guinée équatoriale », 12 septembre 2025. URL : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2025/09/12/biens-mal-acquis-la-france-remporte-une-bataille-dans-un-litige-immobilier-avec-la-guinee-equatoriale_6640645_3212.html (consulté le 2 novembre 2025)