Par Julie Chevrollier
La COP 30 comme révélateur des rapports de force mondiaux.
Keywords : échelles, territorialités, rapports centre/périphérie, rente, dépendances, institutions, controverses, circulation des savoirs, multilatéralisme, fragmentation, coopération minimale, path dependency, verrouillage technopolitique, dépendance au sentier, écologisation, soft power, post-fossile.
III. Quelles perspectives pour le régime climatique ? Entre élargissement du régime, territorialisation de la transition et émergence de coalitions motrices
1.1 Accord BBNJ
2. Les enjeux à surveiller d’ici 2030 : territorialiser la transition dans un minilatéralisme inévitable ?
Introduction
Dix ans après l’Accord de Paris, La COP 30 (Belém, 2025) intervient à la fois dans un contexte d’accélération des impacts du changement climatique et de durcissement des rivalités géopolitiques, ainsi elle constitue un moment clé pour analyser les trajectoires du régime climatique international.
Au cœur de l’Amazonie, la COP 30 s’est présentée à la fois comme un lieu de confirmation, de blocages et de reconfigurations profondes du régime climatique international. En effet, un accord préservé, mais une ambition fragmentée ; un cadre multilatéral consolidé, mais une transition énergétique plus incertaine que jamais, l’ambivalence de cette conférence nous oriente vers un diagnostic certain : Belém 2025 est un révélateur des rapports de force mondiaux, davantage qu’un moment d’accélération climatique.
Ainsi, comment la COP 30 révèle-t-elle à la fois la capacité du multilatéralisme climatique à se maintenir, et l’incapacité structurelle du système international à engager une transition post-fossile ?
Les 194 États ont adopté un texte minimaliste qui s’inscrit dans la continuité des théories des régimes internationaux (Krasner, 1983), confirmant ainsi ce que le Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères (MEAE) qualifie de « soutien réaffirmé au multilatéralisme climatique » malgré un contexte géopolitique marqué par la compétition des puissances, des conflits, et un repli de certains États vers des logiques souverainistes. Cette “stabilisation institutionnelle” du cadre multilatéral révèle toutefois une fragmentation à travers une géographie conflictuelle des intérêts avec, d’un côté une coalition favorable à la sortie des énergies fossiles (Union Européenne et pays “vulnérables”, de l’autre “l’arc fossile” qui regroupe les Etats pétroliers du Golfe, la Russie et les émergents exportateurs qui tendent à neutraliser l’avancée structurelle et, enfin, l’absence des Etats Unis bouleversant les rapports de force. En particulier, l’UE est désormais confrontée à un « nouvel ordre mondial climatique » où son isolement stratégique devient manifeste.
Alors, le cas typique de “coopération minimale” a souligné la priorisation de la gouvernance climatique à l'effondrement des négociations, au détriment d’un texte plus engageant.
Le paysage médiatique s’est largement emparé de la critique du refus d'inscrire une stratégie planifiée relative à la sortie des énergies fossiles, indispensable pour limiter le réchauffement de la surface planétaire à +1,5°C.
Ce blocage révèle des logiques de dépendance au sentier (path dependency) : en effet, les infrastructures fossiles, les acteurs économiques (multinationales), les rentes budgétaires pétrolières et les alliances géopolitiques forment un système technopolitique verrouillé et difficile a destabiliser.
Cette inertie s’observe par ailleurs, particulièrement dans les monarchies pétrolières du Golfe (rente, OPEP+), certains grands émergents (Inde, Indonésie) et dans les États dépendants des exportations d’hydrocarbures (Russie). Ainsi, on retrouve le modèle centre-périphérie de Wallerstein ou les économies fondées sur la rente fossile défendent leur position dans la division internationale du travail.
En perspective de ces logiques, la proposition de la Colombie de mentionner explicitement les énergies fossiles illustre un basculement important. En effet, certains pays du Sud s’émancipent des cadres traditionnels de négociation et contestent la légitimité de compromis jugés “dénialistes” (de l’anglais “denial”).
Le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva a également soutenu la mise en place d’une « feuille de route » pour sortir des énergies fossiles, soutenue par plus de 80 pays. Si aucune date butoir n’est proposée, ce projet n’en constitue pas moins le premier jalon d’une ambition mondiale.
Cependant malgré cette émancipation, un régime universel peut-il encore piloter la sortie des fossiles lorsque l’économie mondiale reste structurée par la rente pétrolière ?
À défaut de réduire les émissions, Belém enregistre un progrès majeur sur l’adaptation. La décision de tripler les financements pour l’adaptation destinés aux pays vulnérables d’ici 2035 marque un rééquilibrage essentiel entre atténuation et adaptation.
Elle reflète une transformation profonde du régime climatique : les territoires ne se positionnent plus seulement comme des lieux d’émissions à réduire, mais comme des espaces vulnérables, inégalement exposés, soumis à des risques socio-climatiques différenciés.
NB : les théories de l’écologie politique et de la géographie des risques montrent que les effets climatiques se distribuent de manière inégalitaire selon l'exposition physique, la vulnérabilité sociale et la capacité institutionnelle.
Ainsi, la reconnaissance de la pluralité des trajectoires territoriales et des capacités d'adaptation est l’un des acquis de cette COP.
La COP est devenue un espace polycentrique, elle n’est plus seulement un lieu où les États négocient. En effet, ces négociations climatiques fonctionnent comme un système multi-échelle ou interagissent États nationaux, régions, villes et collectivités territoriales mais également ONG, entreprises, scientifiques, organisations internationales et société civile.
La COP 30 montre à quel point ce polycentrisme transforme la hiérarchisation en coprésence presque conflictuelle par les intérêts de ces acteurs, renforçant ainsi les blocages et la complexité de la création d’un consensus global.
Nous pouvons prendre l’exemple de l’Union européenne divisée sur sa propre stratégie 2035, ce qui affaiblit sa puissance normative habituelle, la ou les États producteurs, eux, exercent une pression diplomatique pour exclure la mention des fossiles.
Les décisions de la COP ne peuvent être comprises sans mobiliser l’économie politique internationale. Ainsi, les États producteurs agissent selon une logique de maximisation des rentes fossiles et d’optimisation de leur soft power énergétique.
Les négociations reflètent donc les stratégies de puissance, la sécurisation des revenus et l’importance géopolitique du pétrole et du gaz dans un monde instable.
Cela nous invite à expliquer l’absence d’accord sur les fossiles par la rente pétrolière comme pilier de stabilité politique ; la dépendance budgétaire de nombreux États et la compétition pour conquérir des marchés gaziers et pétroliers dans un monde où certains anticipent encore une demande durable.
Cette économie politique du carbone constitue une force structurelle qui révèle donc moins un défaut de volonté qu’un verrouillage systémique au cœur de la COP 30.
En effet, une déclaration initiée par le Brésil, l’ONU et l’UNESCO, elle vise à inscrire la lutte contre la désinformation climatique dans l’agenda politique mondial, a été signée par 19 pays (dont France, Brésil, Belgique, Canada, Espagne, etc.) a été publiée le 12 novembre 2025. Cette déclaration vise à reconnaître le rôle central des médias, la nécessité de l'amélioration de la couverture médiatique environnementale, et à engager les Etats fermement à l'aide de politiques publiques et d’un plan d’action national pour contrer la désinformation climatique.
Cependant, deux espaces étaient ciblés pour intégrer l’intégrité de l’information : Action for Climate Empowerment (ACE) ou l’intégrité de l’information n’a finalement pas été incluse et renvoyée à la COP 31, ainsi que “Research and Systematic Observation (RSO)” ou le sujet a bien été mentionné mais largement affaibli notamment en raison de L’Arabie Saoudite, de l’Inde et du Kenya qui ont fait retirer plusieurs références au Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), estimant que la science des pays en développement est sous-financée et donc sous-représentée. Par ailleurs, L’Union Européenne voulait inclure la notion de « mésinformation climatique », ce qui a été rejeté par l’Arabie Saoudite.
Nous pouvons tout de même saluer un signal politique fort ou le Mutirao* ("Dans sa version paraguayenne, où le concept de mutirão ce dit potirõ, on retrouve la racine 'po' qui signifie 'main', comme dans l'expression française 'mettre la main à la pâte'" Cf Franceinfo. (2025). COP30 au Brésil : c’est quoi le “Mutirão”, cette tradition autochtone brandie en slogan pour sortir de l’inaction climatique. Franceinfo. https://www.franceinfo.fr/environnement/crise-climatique/cop-climat/cop30/cop30-au-bresil-c-est-quoi-le-mutirao-cette-tradition-autochtone-brandie-en-slogan-pour-sortir-de-l-inaction-climatique_7448707.html) reconnaît l’intégrité de l’information climatique et parle de « COP de la vérité » en réaffirmant l’importance de la meilleure connaissance scientifique disponible (notamment celle du GIEC).
La COP 30 confirme l’élargissement progressif du régime climatique à des thématiques transversales avec l’intégration de l’Océan dans les plans nationaux (MEAE), de santé et d’impacts climatiques, de lutte contre la désinformation, de solutions fondées sur la nature, de protection des forêts et des puits naturels de carbone essentiels.
En effet, ce mouvement correspond à une écologisation des politiques publiques, où le climat devient un cadre structurant des décisions socio-économiques et où le caractère systémique du changement climatique est intégré.
1.1 Accord BBNJ
En juin dernier, lors de la 3e conférence des Nations Unies sur l'Océan (UNOC 3) à Nice, les présidents brésilien et français ont convenu que la COP 30 de Belém serait une étape clé vers la première COP dédiée à l'Accord BBNJ sur la protection de l'Océan, qui se tiendra à New York à l’automne 2026.
La COP 30 a été l’occasion pour la France de rappeler son engagement en faveur de la lutte contre le changement climatique et la préservation de l’Océan.
La France à en effet plaidé pour renforcer la coopération autour des trois grands bassins forestiers mondiaux et salue l’entrée en vigueur prochaine du traité sur la haute mer (BBNJ), qui permettra de créer des aires marines protégées en haute mer.
2. Les enjeux à surveiller d’ici 2030 : territorialiser la transition dans un minilatéralisme inévitable ?
Ce que révèle la COP 30, avant tout, c’est que l’enjeu majeur n’est plus seulement de négocier mais bien de réinventer un régime socio-énergétique post-fossile, impliquant une transformation des systèmes productifs, une reconversion des économies rentières, une nouvelle architecture financière, une lutte active contre la désinformation et un pacte de justice climatique capable de rééquilibrer les responsabilités.
Mais : comment les États, régions, entreprises et territoires mettent-ils en œuvre les engagements ?
Il conviendra alors de se pencher pour 2030 sur la localisation des risques, les capacités d’adaptation selon les réalités socio-économiques régionales, sur les inégalités d’accès aux ressources, sur les trajectoires socio-énergétiques et enfin les effets territoriaux des politiques publiques (marchés carbone, infrastructures, zonage énergétique).
Conclusion
Alors que la COP 28, qui s’était tenue il y a deux ans à Dubaï avait permis d’aboutir à accord faisant explicitement mention des énergies fossiles, ce n’est pas le cas du texte final sur lequel se sont accordés les Parties samedi dernier lors de la session de clôture de la COP 30. Une absence regrettée par de nombreuses Parties, notamment la France et plus largement l’Union Européenne.
Belém restera ainsi comme une COP de stabilisation plutôt que de transformation. On a évité un échec diplomatique, clarifié certaines lignes de fracture et ouvert des chantiers nouveaux.
Mais cette COP n’a pas apporté de réponse à la hauteur de l’urgence climatique.
Julie Chevrollier, le 5 décembre 2025
Sources :
1. Géoconfluences. (n.d.). La COP 30 : le climat au tournant. ENS de Lyon. https://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/breves/la-cop-30-le-climat-au-tournant
2. 2050now. (n.d.). COP30 : quelle stratégie pour la France et l’Europe ?. https://warm.2050now.com/politiques-publiques/cop30-quelle-strategie-pour-la-france-et-leurope-3083/
3. QuotaClimat. (n.d.). COP30 : Des reculs scientifiques inédits, mais un sursaut politique prometteur face à la désinformation climatique. https://quotaclimat.org/actualites/cop30-des-reculs-scientifiques-inedits-mais-un-sursaut-politique-prometteur-face-a-la-desinformation-climatique/
4. QuotaClimat. (n.d.). COP30 : l’audiovisuel public a assuré une couverture trois fois supérieure à celle des médias privés. https://quotaclimat.org/actualites/cop30-laudiovisuel-public-a-assure-une-couverture-trois-fois-superieure-a-celle-des-medias-prives/
5. Université de Genève. (n.d.). COP30 : Ces pays qui “font leur maximum pour aboutir au minimum”. https://www.unige.ch/environnement/home/actualites/cop30-ces-pays-qui-font-leur-maximum-pour-aboutir-au-minimum
6. Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. (2025, 25 novembre). Climat – Bilan de la COP30. https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/climat-et-environnement/la-lutte-contre-les-changements-climatiques/cop30-climat-un-nouveau-cap-pour-l-action-climatique-mondiale/article/climat-bilan-de-la-cop30-25-11-25
7. Parlement européen. (2025, 17 novembre). Bilan de la COP30 : des progrès lents, mais insuffisants pour répondre à l'urgence climatique. https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20251117IPR31438/bilan-de-la-cop30-des-progres-lents-insuffisants-face-a-l-urgence-climatique
8. Toute l’Europe. (n.d.). COP30 : l'UE affronte ses divisions, les États réunis au Brésil s'accordent sur un texte minimaliste. https://www.touteleurope.eu/environnement/cop30-l-ue-affronte-ses-divisions-les-etats-reunis-au-bresil-s-accordent-sur-un-texte-minimaliste/
9. UNFCCC. (n.d.). « La COP 30 a montré que la coopération climatique est bien vivante et continue de mobiliser l’humanité dans la lutte pour une planète viable. » https://unfccc.int/fr/news/la-cop-30-a-montre-que-la-cooperation-climatique-est-bien-vivante-et-continue-de-mobiliser-l